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« Qui connaît le chemin qui mène aux champs fertiles de l’âme ? » (Jung) : une réflexion sur la formation

L’actualité met nos repères à mal. Entre un virus labile et malin et ses conséquences sociales, nombreux sont les êtres à se sentir perdus, si l’on en croit le nombre de nouveaux patients qu’accueillent les psys. Intuitivement, il semble que ces personnes sentent que c’est en eux qu’ils peuvent trouver la réponse, avec l’aide d’un autre.

Ce constat nous renvoie à la tradition de l’initiation et nous fait réfléchir à un nouveau niveau d’échanges avec le monde, dans le partage et la transmission, dans la formation.

La formation et l’apprentissage sont des processus exigeants

Est-il impossible de former et d’enseigner ?

L’articulation entre soi et l’autre dans un processus d’individuation est prégnante et pose les termes d’un questionnement sous forme apparente de paradoxe. S. Freud disait qu’enseigner faisait partie des métiers impossibles[1], et C.G. Jung ne souhaitait pas la création d’un institut de formation. On peut comprendre son point de vue à travers cet extrait du livre rouge : « Mon chemin n’est pas votre chemin. Je ne peux donc pas vous instruire. Le chemin est en nous, mais pas dans les dieux, ni dans les doctrines, ni dans les lois. C’est en nous qu’est le chemin, la vérité et la vie. Malheur à ceux qui vivent selon des modèles ! La vie n’est pas avec eux. Si vous vivez selon un modèle, vous vivez la vie d’un modèle, mais qui vivra votre vie sinon vous-mêmes. Donc vivez-vous vous-mêmes.[…]Il n’y a qu’un seul chemin et c’est votre chemin […] Que chacun suive son propre chemin… »[2] 

Le rapport enseignant/enseigné : un modèle asymétrique et insuffisant

Les soubassements de notre réflexion sont toujours ceux de l’individuation et du respect de l’autre dans sa spécificité et son unicité. Devenir analyste ou psychothérapeute jungien qu’est-ce à dire ? Comment concilier l’être soi et l’être psychanalyste ou psychothérapeute, dans une vision de l’être humain érigé[3] ? Les modèles fréquemment rencontrés dans l’enseignement sont ceux d’un nourrissage dans un rapport asymétrique, où l’enseigné supposé ignorant reçoit la bonne nourriture/savoir d’un enseignant supposé sachant. Les résultats PISA[4] montrent combien ce modèle est insuffisant. Dans le domaine de l’Éducation, actuellement, Ph. Merieu[5] et E. Morin[6] rappellent chacun à leur manière que se construire et apprendre est une interaction entre le monde et soi-même, et est un processus exigeant.

Apprendre, c’est construire ensemble

Articuler collectif et individuel, objectif et subjectif

Conjoindre Formation et Psychanalyse suppose de prendre en compte et d’articuler les dimensions d’intériorité, le rapport de soi à soi, du moi à l’inconscient, de soi au Soi et les dimensions apparemment extérieures. Penser cette articulation du collectif et de l’individuel, c’est se confronter aux aménagements incessants entre soi et le monde, la question de la place de soi dans le monde, et du monde en soi, négociation dont D.W.Winnicott[7] dit que c’est une tâche sans fin. L’objectivité semble bien difficile à atteindre, malgré toutes les tentatives en termes d’évaluation par exemple. L’humain semble irréductible à la position d’objet.

Alors, peut être pourrions-nous penser l’objectivité comme une confrontation assumée des subjectivités ? En découlerait le postulat qu’apprendre, c’est construire ensemble, et se construire soi-même dans un ensemble. L’idée n’est pas nouvelle, J.Piaget[8] (dans le rapport de l’être humain à ses représentations, plus spécifiquement tourné vers le monde interne cognitif) et L.Vygostky[9] (dans le rapport de l’être humain avec d’autres, plus tourné vers l’interaction entre monde interne et monde externe) l’ont démontré depuis longtemps, dans le domaine de la psychologie et de la pédagogie. Mais elle semble bien subversive dans une époque où l’individualisme est la valeur dominante.

L’importance de l’autre dans la formation

Dans cette perspective, celui qui enseigne est peut-être un peu plus avancé sur son chemin d’individuation et très certainement plus expérimenté dans sa pratique professionnelle, alimentée par les savoirs et les expériences qu’il a rencontrés et qui l’ont fait grandir par leur confrontation à la réalité. Il peut alors proposer des dispositifs, des savoirs, des expériences à celui qu’il souhaite former, qui s’en saisira ou pas, qui pourra alors construire son propre cheminement. Il sait aussi l’importance prépondérante d’un autre sur ce chemin vers soi.

Le modèle de l’initiation et la dimension transcendante de l’être humain

L’initiation et la recherche spirituelle

Notre projet de formation s’inscrit dans cette perspective de responsabilité de l’aspirant analyste ou psychopraticien au sein d’un cadre qui serait guide, avec des partenaires, pour aller à la découverte des altérités en soi et en dehors de soi.

Notre modèle sous-jacent pourrait être celui de l’initiation. Nous intégrons alors la dimension transcendante de l’être humain. C.G. Jung mettait en exergue la différence entre religion et spiritualité[10] : la première étant une structuration sociale par le biais d’une institution qui peut conduire à la perte de sens de l’expérience individuelle de la spiritualité et de sa dimension transcendante. La perte de sens est un des risques des institutions. Nous devons l’avoir à l’esprit. Si l’on se réfère aux traditions spirituelles, une recherche spirituelle s’inscrit dans une évolution personnelle se faisant à travers une initiation.

La vie en elle-même est initiation

Des jalons peuvent être posés dans le cheminement, jalons faits d’imprégnations, d’expériences, de mises au contact avec les forces de la psyché, dans un processus de développement, avec d’autres.

Pour P.Y. Albrecht[11], l’initiation vise à l’alignement des dimensions corporelle et spirituelle à travers l’âme, qui se manifeste par un état de conscience accrue. L’engagement est primordial pour ce type de parcours. Engagement de la personne en formation et de son pédagogue, au sens étymologique du terme, à savoir celui qui accompagne sur le chemin. À l’époque antique en Grèce, on distinguait le pédagogue (paidagoyos), attaché à une famille, à un enfant, du paidanomos, maître commun à tous les enfants. Ainsi, si Jung, de par les écrits et la pensée qu’il nous laisse, peut être mis en place de paidanomos, nous pouvons être les paidagoyos, prenant en compte l’unicité de chacun et de chaque parcours.

Et nous essaierons de tenir vivante la tension des opposés en gardant en tête les mises en conscience de Jung: « Apprenez les théories aussi bien que vous le pourrez, mais laissez-les de côté dès que vous toucherez les merveilles de l’âme vivante. Ce ne sont pas les théories, mais votre personnalité créatrice qui sera décisive » .[12]


[1]Freud, S.(1925)  Préface à  Jeunesse à l’abandon  d’Aichhorn

[2]   Jung C.G.  (2009) Le livre Rouge. Article « la voie de l’à-venir »,  ed l’iconoclaste, p,147

[3]Je me réfère ici à un terme fréquemment employé par A. De Souzenelle, métaphorisant l’individuation en référence au développement physiologique. S’ériger pourrait être compris comme incarner pleinement son unicité en connexion avec sa dimension spirituelle.

[4]http://www.contrepoints.org/2016/09/01/264177-pisa-france-traine

[5]Meirieu, Ph. (2014) Manifeste. Le plaisir d’apprendre. Ed Autrement, par exemple. Voir aussi www.meirieu.com/

[6]Morin, E. (2014) Enseigner à vivre, manifeste pour changer l’éducation. Actes sud

[7]Winnicott, D.W. (1983) De la pédiatrie à la psychanalyse, Petite Biblitohèque Payot, (1999) Jeu et Réalité, Gallimard.

[8]Piaget, J. (1966) La psychologie de l’enfant . Denoël

[9]Vygotsky, L. (1997) Pensée et langage. La dispute

[10]Jung, C.G. (1958) Psychologie et religion, Buchet Chastel

[11]Albrecht, P.Y., De Souzenelle, A.  (2012) L’initiation, ouvrir les portes de notre cité intérieure.  Ed. Le Relié

[12]Jung, C.G.  (1963) L’homme à la découverte de son âme. Albin Michel

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